Pour l’égalité salariale, je n’attendrai pas un siècle

En 2016, à l’échelle mondiale, le salaire moyen des femmes représente 77 pourcent de celui des hommes (Source ONU). En France, c’est sensiblement la même chose. Le sujet des inégalités de salaires est connu et médiatisé. Pourtant, l’évolution est lente. Alors, genre et revenus, on en est où ? Et qu’est-ce qu’on peut faire pour accélérer la donne ?

Vers la fin de ma première année de vie professionnelle, début 2013, dans une discussion somme toute banale, D., manager dans mon entreprise, me dit : « C’est normal que les femmes soient moins payées étant donné qu’elles travaillent moins d’heures, elles partent toujours plus tôt pour s’occuper des enfants. » Excellente façon de me faire comprendre l’hostilité du monde du travail envers les femmes et de me remettre à ma place dès le début de carrière : rappel de mon rôle reproductif et freinage immédiat de mes ambitions. J’ai entendu « ce monde n’est pas fait pour toi, rentre plutôt chez toi faire des gosses ». 

Les inégalités de revenus en fonction du genre, je crois que j’en ai toujours entendu parler car elles sont souvent abordées dans l’espace médiatique. La loi française, dans le code du travail, consacre le principe “A travail de valeur égale, salaire égal” depuis 1972. Malgré cette médiatisation, les écarts persistent et se réduisent de moins en moins vite depuis 1995. D’après le rapport du Forum économique mondial fin 2019, au rythme actuel, il nous faudra un siècle en France pour atteindre l’égalité. Contrairement à D., je ne trouve pas ça très “normal”, et l’inscription du principe d’égalité dans le premier article de notre constitution semble plutôt me donner raison. En juin 2020, l’Insee a publié sa dernière étude sur les écarts de rémunération femmes-hommes des salarié·es du secteur privé, analysés sur les revenus 2017. L’occasion pour moi de décortiquer tous ces chiffres et d’analyser la réalité qu’ils exposent.

En 50 ans, l’écart de rémunération est passé de 42% à 28,5%, soit une baisse de 13,5 points. Dans 100 ans, on y sera encore ?
Source de l’image : Pour l’éco

28,5% de salaire en moins / 40% de salaire en plus

En 2017, le revenu salarial net moyen des femmes était de 16 299€, celui des hommes 22 793€, soit une rémunération inférieure de 28,5 %[1]

Il est important de noter que la question du point de vue, abordée dans l’article précédent, n’est ici pas anodine. Cette mesure de l’écart de 28,5% considère que la référence, la base 100, est le revenu des hommes, c’est-à-dire que pour 100€ perçus par un homme, une femme perçoit 71,5€. Si l’on prend comme base de référence le salaire des femmes, pour 100€ gagnés par une femme, un homme en gagne 139,9 soit près de 40% de plus. Comme l’auraient dit mes profs de physique, “tout dépend du référentiel”… Cette convention de mesure est celle qui utilise le point de vue masculin comme à la fois le neutre et l’universel. Et je n’ai pas dérogé à cette convention dans cet article hélas, pour que les chiffres mentionnés restent les mêmes que ceux qu’on peut lire ailleurs, dans toutes les études et tous les articles sur le sujet. 

La première raison de cet écart résulte des inégalités du temps de travail rémunéré. Toujours d’après l’étude Insee, en 2017, les femmes salariées ont travaillé en moyenne 0,67 EQTP (équivalent temps plein) contre 0,78 pour les hommes. C’est 29,6 % des femmes salariées de 15 à 64 ans qui sont à temps partiel, contre 7,7 % des hommes. Ce recours au temps partiel augmente avec le nombre d’enfants à charge pour les femmes, alors que ce n’est pas le cas pour les hommes[2].

Travailler gratuitement

C’est là que D. avait raison, les femmes travaillent moins d’heures que les hommes car elles s’occupent des enfants. Enfin ça, c’est quand on parle du travail rémunéré. En revanche, les femmes assurent toujours la majorité du travail domestique et parental (s’occuper des enfants entre autres, du foyer plus généralement) : entre 60 et 72% selon comment on définit ce périmètre. Dans les couples où l’homme est travailleur indépendant (garagiste, agriculteur, artisan…), elles assurent aussi souvent gratuitement une partie du travail administratif. C’est en moyenne, 2/3 du travail des femmes qui n’est pas rémunéré, 1/3 de celui des hommes. Soit, un total de 54h de travail par semaine pour les femmes contre 51 pour les hommes, mais les journées font toujours 24h pour tout le monde.
Alors, travailler plus pour gagner plus, vraiment ? En réalité, ce travail reproductif constitue une “ressource exploitable gratuitement”, comme le nomme Caroline Criado-Perez dans Invisible Women : il représente une part importante de la “production” d’un pays, pourtant il n’est pas valorisé économiquement. Des estimations indiquent que ce travail pourrait représenter 33% du PIB en France

Dans une société qui mesure la valeur d’un individu à ses accomplissements professionnels et même plus particulièrement à sa réussite financière, et qui continue, comme D., à penser que c’est le temps de travail qui fait la performance, le fait que les femmes travaillent moins (en nombre d’heures rémunérées encore une fois) entretient leur position d’inférieures, à la fois à l’échelle des groupes sociaux mais aussi à l’échelle individuelle. Gagner moins que son conjoint, c’est potentiellement alimenter la situation de domination. Ce travail non rémunéré assuré par les femmes est celui qui permet aux hommes en couple hétérosexuel, quand on les interroge sur les raisons de leur réussite professionnelle, de déclarer “Ma femme est formidable”.

Dans les couples hétérosexuels, selon une autre étude Insee, les femmes gagnent en moyenne 42% de moins que leur conjoint. Avoir un salaire plus important est un argument pour hiérarchiser l’importance du travail et diminuer l’investissement dans les tâches domestiques. Cette répartition déséquilibrée limite ensuite, pour l’autre membre du couple, la capacité d’investissement dans un travail rémunéré limitant d’autant sa progression de carrière. L’écart de salaires grandit, dans un cercle vicieux bien difficile à briser. Et quand cette domination s’exerce dans le couple jusqu’à des situations de violences conjugales, la dépendance financière vis-à-vis de sa/son partenaire rend la rupture impossible. 

Il n’y a qu’un travail autonome qui puisse assurer à la femme une authentique autonomie.

Simone de Beauvoir – Le deuxième sexe

#5novembre16h47

L’étape suivante dans l’analyse est donc de supprimer l’écart dû à cette variable du temps de travail. On ramène alors la comparaison au salaire horaire moyen (ou en équivalent temps plein). Là encore, les chiffres sont saisissants : en 2017, en France, pour une heure de travail salarié, les femmes gagnent 16,8% de moins que les hommes. Dans la fonction publique, l’écart est légèrement plus faible, à 12,4%. Sur cette base, en 2019, le collectif Les Glorieuses a calculé qu’à partir du mardi 5 novembre, à 16h47, les Françaises ont travaillé symboliquement gratuitement jusqu’à la fin de l’année. Sur une carrière, cela équivaut à 7 années de travail cumulées non rémunérées.

On explique une partie de cet écart par ce qu’on appelle couramment la ségrégation professionnelle, c’est-à-dire que certains métiers ont un genre. Cette ségrégation est à la fois une ségrégation de catégorie de métiers (horizontale) et de niveau hiérarchique (verticale). L’étude précise que « les femmes occupent plus souvent que les hommes des emplois moins qualifiés : en 2018, 25,9 % des femmes en emploi sont sur des postes d’employés ou d’ouvriers non qualifiés, contre 15,0 % des hommes. À l’inverse, elles sont moins souvent cadres (15,7 % contre 20,8 % des hommes). »

Certains métiers s’accordent au féminin

Cette période Covid a mis en évidence cette ségrégation horizontale, avec beaucoup de femmes en “première ligne”, comme Christiane Taubira l’a résumé, « ce qui fait tenir la société, c’est d’abord une bande de femmes ». Les femmes représentent en effet 91% des aides-soignant·es, 83% des enseignant·es du premier degré, 90% du personnel des Ehpad, 90% des caissier·es et 97% des aides à domicile. Elles se concentrent dans un nombre de métiers plus restreint et moins bien valorisés, particulièrement dans les domaines du care : aide à la personne, nettoyage, enseignement, assistance. Il n’est pas anodin qu’il soit bien plus facile de mettre certains noms de métier par défaut au féminin : infirmière, secrétaire (sous l’apparente neutralité de ce terme, on notera qu’un secrétaire est un meuble), assistante. Le discours d’un dirigeant qui cherchait à recruter “un associé et une assistante” m’avait marquée. Le genre des personnes cibles était déjà défini dans son imaginaire et ça n’a pas choqué grand monde, tellement nos stéréotypes sont ancrés : associé = homme / secrétaire = femme. Cela correspond à une réalité statistique, mais bloque nos capacités à envisager un franchissement de cette norme.

On a parfois tendance à s’arrêter à ce constat, sans pousser la question jusqu’à se demander pourquoi. Pourquoi les métiers occupés par des femmes, bien qu’essentiels à notre vie en société, sont peu qualifiés et donc peu valorisés économiquement ? En France, on est libre de choisir son métier et c’est vrai que cette ségrégation se joue pour beaucoup au moment de l’orientation avec là encore, l’influence de nos bons vieux stéréotypes : combien de mes camarades féminines à l’école primaire voulaient devenir puéricultrices quand les garçons rêvaient d’aventure et d’exploits…? Mais vraiment, c’est pas de chance que les métiers que les femmes choisissent soient les moins bien payés… En réalité, nous avons ce que la chercheuse Séverine Lémière appelle des biais de sous-valorisation des métiers féminins. Elle l’explique dans cet entretien : Ces métiers féminisés « sont associés à des compétences présumées innées chez les femmes […] À partir du moment où on attribue ces compétences à des qualités naturelles, on retire leurs spécificités professionnelles. C’est le piège. […] Si on retire la technicité et le caractère professionnel de ces compétences, forcément ça joue sur le niveau de salaire. »
De la même manière, les caractéristiques liées à la pénibilité sont mieux reconnues dans les emplois majoritairement masculins, comme ouvrier du bâtiment ou éboueur. Pourtant, les métiers du nettoyage utilisent beaucoup de produits toxiques, les métiers d’aide à la personne nécessitent de porter des gens toute la journée et personnellement, rien qu’imaginer gérer 30 enfants en bas âge en même temps m’épuise. 

Par ailleurs, s’applique donc la ségrégation de niveau hiérarchique, aka le fameux plafond de verre : les postes prestigieux avec les salaires les plus élevés sont trustés par les hommes. Entre les 10% d’hommes les moins bien rémunérés et la même tranche des femmes, l’écart est de 7%. Il grimpe à 21% pour les tranches hommes et femmes des 10% des salaires les plus élevés (cf. schéma ci-dessous). Dans la même logique, l’écart de salaire horaire entre hommes et femmes augmente avec le niveau de diplôme[3] et avec l’expérience professionnelle[4]. On estime qu’à l’arrivée à la retraite, l’écart culmine à 37%. 
Et pour la retraite elle-même, c’est pire : 37% d’écart en fin de carrière, couplé à l’impact d’une carrière découpée par les maternités = 42% de retraite en moins : 1.099 euros bruts contre 1.908 euros.

L’écart de salaire augmente avec le niveau de rémunération. Faire partie des 10% des femmes les mieux rémunérées, c’est gagner 21% de moins qu’un équivalent masculin parmi les 10% des hommes les mieux payés. Source : Observatoire des inégalités

Ecart inexpliqué : discrimination sexiste ou différences de caractéristiques ?

L’étude s’emploie ensuite à étudier ce que l’on appelle souvent l’écart inexpliqué, une fois retirés les effets du temps partiel et de la ségrégation professionnelle. « L’écart de salaire moyen en EQTP entre les femmes et les hommes pour un même poste se réduit donc à 5,3 % dans le secteur privé en 2017. »
Le rédacteur de l’étude Insee explique ensuite dans un paragraphe peu clair quelque chose qu’on pourrait paraphraser en : On n’est pas sûrs que ces 5,3% restant soient de la pure discrimination sexiste. Si on allait plus finement dans l’analyse, on trouverait d’autres caractéristiques qui expliqueraient le reste de l’inégalité. C’est là qu’on arrive à mon sens dans les limites de l’analyse, parce que ça revient à dire : quand on enlève tous les facteurs explicatifs des inégalités salariales, il n’y a plus d’inégalité. No shit, Sherlock ! Je m’explique. Les chiffres de la “part inexpliquée” de ces inégalités de revenus entre hommes et femmes varient ces dernières années entre 5 et 10% selon les sources et les périodes. On peut souvent lire dans les articles sur le sujet une attribution de cette part à de la discrimination sexiste, ce qui est ici remis en cause par le rédacteur de l’Insee. Mais qu’est-ce que c’est au juste “la discrimination sexiste dans les salaires” ? Personne ne croit que les employeurs ont une grille de salaire différente en fonction du genre de ses salarié·es. Et comment comparer un salaire à un “même poste” ? En réalité, même à l’échelle d’une entreprise, le “même poste” n’existe pas. L’entreprise gère une multitude de situations individuelles. 

Je vais m’aventurer ici dans un cas personnel en espérant qu’il donne des pistes à cette réflexion. Dans mon entreprise de conseil, j’ai été promue moins rapidement que 2 camarades masculins dont le parcours était assez similaire. Personne ne s’est dit “Maëll étant une femme, il faut qu’elle progresse moins vite”, absolument personne. Pourtant, je pense que le sexisme structurel (je m’attarderai sur cette notion dans un autre article) y est pour quelque chose. Parce que je n’ai pas eu le même parrainage d’autres hommes dans des positions hiérarchiques plus élevées, parce qu’on attendait de moi un comportement adoptant des codes du masculin que je n’avais pas ou parfois qu’on ne me reconnaissait pas. Est-ce que j’étais moins performante ? Peut-être. Est-ce que j’ai moins demandé d’augmentation ? Pas sûr. Est-ce que j’acceptais moins les horaires tardives ? Sans doute. 

L’objectif n’est pas de refaire le détail de ma progression de carrière ici, mais d’utiliser cet exemple pour montrer que la structure dont résultent les inégalités de salaires en fonction du genre est difficile à isoler à une échelle individuelle. Ces inégalités de salaires “inexpliquées”, si on va à l’échelle des individus, on trouvera toujours des moyens de l’expliquer. Il travaille plus tard, elle prend plus de jours pour s’occuper de ses enfants, elle prend moins de responsabilités, elle est moins performante, elle n’a pas demandé d’augmentation, etc. Chacune de ses raisons pourra être défendue comme tout à fait valable individuellement. Pourtant à l’échelle globale, les statistiques nous montrent que la somme de tous ces cas individuels finit par jouer en défaveur des femmes. Cet écart “inexpliqué”, 9% ou 5,3% c’est donc aussi un symptôme du plafond de verre. S’appliquant sur la durée, ces inégalités “à poste équivalent” limitent la progression et la promotion des femmes, aboutissant à la ségrégation professionnelle hiérarchique. 

Mesurer les inégalités, une première étape

Les inégalités de salaires entre hommes et femmes sont donc un résultat de plusieurs situations, témoignage de nos biais genrés à la fois dans le domaine professionnel et domestique, mais ce n’est qu’assez peu un levier d’action à l’échelle individuelle.
A l’échelle collective, le gouvernement se veut volontariste sur le sujet et en 2019, l’index de l’égalité femmes-hommes a été déployé. Malgré les critiques qu’on peut lui adresser, les résultats sont édifiants : 6% des entreprises françaises de plus de 250 salariés versent des salaires égaux aux femmes et aux hommes et 1% parmi celles de plus de 1000 salariés. Toutes les autres semblent donc avoir un bout de chemin à parcourir. 

Cet index implique une nécessaire mise en place d’indicateurs dans les entreprises. Prendre la mesure de l’état des lieux, c’est la première étape pour pouvoir agir : quelles sont les différences de salaires d’ensemble et à des postes similaires ? quelle est la vitesse de progression hiérarchique dans l’entreprise, i.e. combien de temps les femmes et les hommes passent à un type de poste particulier ? 

Changer de regard 

Briser le plafond de verre et mieux promouvoir les femmes nécessite de prendre conscience de nos biais dans l’évaluation de ce qu’est la performance ou la compétence pour un poste et dans l’influence de nos stéréotypes qui pèsent sur ces évaluations. Notre vision du travail et de l’entreprise joue en faveur des hommes, via entre autres, le présentéisme et les réunions tardives, n’est-ce pas D. ? A quand la disparition des réunions après 18h et/ou le financement via note de frais du baby-sitting ?

Pour que les femmes soient plus représentées dans les niveaux hiérarchiques supérieurs, la mise en place d’une forme de quotas peut aussi être un accélérateur. J’ai conscience que cette question des quotas concentre aussi plusieurs oppositions. On pourrait en débattre longtemps, mais cet article est déjà trop long. En tous cas, c’est ce que la loi française a mis en place dans 2 domaines, avec un certain succès : en politique, avec les lois sur la parité de 2000 et 2007 , et dans les conseils d’administration des entreprises, avec la loi Copé-Zimmermann en 2011. 
Bien sûr, qui n’a pas déjà entendu ou prononcé la phrase suivante : “mais moi, homme ou femme, je m’en fiche, je veux la personne la plus compétente” ? Ouvrons les yeux, le résultat de cette doctrine est aujourd’hui la prédominance des hommes aux postes de pouvoir. Or, une étude de la London School of Economics a montré que les quotas avaient tendance à évincer les “hommes incompétents” et promouvoir des femmes plus compétentes.
On pourrait aussi à l’intérieur de l’entreprise s’épargner le mot “quotas”. Le propre des stratégies d’entreprise est de se fixer des objectifs. Quoi de plus naturel de l’appliquer à une stratégie d’égalité et se fixer des objectifs dans les différents processus : dans un recrutement, s’assurer qu’il y a des femmes et des hommes candidats ; dans un plan de succession, s’assurer que femmes et hommes sont envisagés ; pour une promotion, vérifier que la proportion femmes/hommes promus reflète celle présente dans le niveau de départ.

Le collectif Les Glorieuses identifie un autre levier d’action : « La transparence des salaires au sein des entreprises est une condition évidente de la réduction de l’écart salarial entre femmes et hommes. » Cette transparence peut s’appliquer à la fois pour les postes établis, mais aussi dans les processus de recrutement. Des recruteur·euses rapportent des situations où les prétentions salariales pour un même poste varient du simple au double entre une femme et un homme avec pourtant des parcours similaires. L’entreprise peut (et devrait, à mon avis) ici jouer un rôle d’arbitre, en clarifiant le budget attribué au poste et en menant une négociation transparente. Le cabinet Equal Pay recommande même d’oublier les questions “Quel est votre salaire actuel ?” et “Quelles sont vos prétentions salariales ?”.
Cette transparence est un levier pour lutter également contre l’impact des autres discriminations sur les revenus : d’après une étude suédoise, la grossophobie mènerait à un écart de salaire à l’embauche de 18%. 

Enfin, on l’a vu, la parentalité pèse aujourd’hui fortement sur la carrière des femmes, mais peu sur celle des hommes. L’entreprise voit une femme en âge de procréer comme une potentielle absente, lors de l’accouchement et du congé maternité mais aussi lorsque son enfant est malade et hors des horaires standards. Il est donc nécessaire de transformer le “risque maternité” en “risque parentalité”. L’annonce d’un allongement du congé 2ème parent à 28 jours, dont 7 obligatoires va dans ce sens, et certaines entreprises ont annoncé dans leur ParentalAct rémunérer à 100% ce congé, la perte de salaire actuelle étant souvent un frein à la prise de ce congé. Plus largement, au vu de l’imbrication entre les sphères domestiques et professionnelles, l’investissement plus important des hommes dans la parentalité permettrait un rééquilibrage. Alors, peut-être, les femmes arrêteront-elles d’en être démesurément pénalisées dans leur carrière ? D. n’avait pas vraiment pensé à cette possibilité, et d’après Gloria Steinem, c’est le cas de beaucoup : « Je n’ai toujours pas entendu d’hommes demander des conseils sur la manière d’allier le travail et la vie de famille. » 

Résoudre l’impact de la ségrégation professionnelle sur les salaires

La période de confinement lié au Covid a mis en évidence à quel point l’utilité pour la société d’un métier est actuellement mal valorisée financièrement. Résoudre l’impact de la ségrégation professionnelle sur les niveaux de salaire nécessite de réévaluer ce qu’est la valeur d’un travail, pour enfin respecter notre principe légal “à travail de valeur égale, salaire égal”. La loi de 1983 permet d’user d’un ensemble de caractéristiques comparables pour faire cette évaluation : compétences, responsabilité, charge physique et nerveuse. Un rapport du défenseur des droits, que je vous recommande grandement de lire, estime que « La jurisprudence est venue préciser les conditions de comparabilité des emplois dans le cadre de recours portés par des femmes, ouvrières comme cadres supérieures, qui s’estimaient discriminées. » En 2010, la Cour de Cassation a tranché en faveur d’une responsable des ressources humaines pour une différence de rémunération injustifiée par rapport à ses collègues masculins, estimant que compétences et responsabilités étaient comparables. Depuis 2019, des femmes mènent un recours collectif, première action de groupe en France, contre une grande banque pour faire cesser la discrimination salariale envers les femmes. On voit dans ces exemples que la ségrégation professionnelle existe au sein même d’une seule et même entreprise. Pour éviter les recours en justice et valoriser plus justement les métiers féminisés, les entreprises peuvent prendre les devants et travailler sur l’évaluation des postes en interne et les rémunérations qui en découlent. Les employeurs publics portent également ce rôle, comme certains pays l’ont montré : Cash Investigation du 19/05/2020 présentait l’exemple du Québec, où la ré-évaluation des caractéristiques de ses emplois de fonction publique a mené notamment à une importante revalorisation des salaires des infirmièr·es. 

Le constat est fait, de nombreux outils sont disponibles, il est temps de passer à l’action pour faire mentir les projections du forum économique mondial et réduire les inégalités salariales à néant au plus vite. Personnellement, je n’attendrais pas un siècle.

Alors, on agit pour cet idéal ?
Source : Campagne ONU Femmes à l’occasion du premier International Equal Pay Day le 18 septembre dernier

[1] Pour les non-salarié·es, l’ordre de grandeur est similaire : l’écart est de 26,8%.
[2] Pour les personnes en couple avec au moins trois enfants à charge, 40,9 % des femmes travaillent à temps partiel contre seulement 7,8 % des hommes.
[3] 15,8% pour des personnes sans baccalauréat, 29,4% pour les bac+3 et plus.
[4] 6,4% à moins de 5 ans d’expérience, 21,7% après plus de 30 ans de carrière

11 commentaires sur « Pour l’égalité salariale, je n’attendrai pas un siècle »

  1. Je comprends pas cette histoire de référence biaisée (« la référence, la base 100, est le revenu des hommes, c’est-à-dire que pour 100€ perçus par un homme, une femme perçoit 71,5€ »)?
    J’ai un peu de mal avec les chiffres 😀
    Super article, bravo, on lâche rien!

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    1. En fait, c’est intrinsèque à l’utilisation des pourcentages pour exprimer des chiffres. C’est comme pour des soldes : si t’as une réduction de 30% sur 100€, ça te fait 30€ en moins, soit 70€. Mais si le prix de départ, c’est 70€, 30% de 70, c’est seulement 21€. Si on veut revenir à 100, depuis les 70€, il faut ajouter 42%. Bref, utiliser le pourcentage pour exprimer un écart, c’est intéressant parce que ça nous permet de le visualiser, mais 1% du salaire d’un homme ou 1% du salaire d’une femme ne représente pas le même montant.
      Dire qu’une femme gagne 28,5% de moins qu’un homme, ça ne nous fait pas le même effet que de dire qu’un homme gagne 40% de plus qu’une femme. Notre représentation de cet écart n’est pas la même selon le point de vue d’où on se place. Et dire tout simplement « l’écart est de 28,5% », c’est faire totalement abstraction du fait que ce chiffre se positionne depuis un point de vue.
      Bon, je sais pas si ça aide comme explication ou si ça embrouille plus 🙂

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    1. Très bonne idée cette analogie :
      Si j’ai une bière de 25cL et toi une bière de 50cL. De ton point de vue, j’ai 50% de bière en moins. Mais de mon point de vue, tu as 100% de bière en plus. Ca correspond aux mêmes quantités (25cL de différence), mais ça ne fait pas le même effet de comparaison.

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  2. Remarquable…..Bravo Maell..je t engage vivement a le faire passer a M Schiappa et a t engager ds une mvt de reflexion et action politique pour faire avancer les choses plus vite…Et de faire une com.. au niveau Europeen…Cela serait regrettable de ne pas exploiter cela..je ne te connaissais pas ces talents de plume….Il sera interessant de faire le lien entre la beauté supposée des femmes (et des hommes) et leur progression professionnelle…imparable…..Amclt Thierry

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  3. Encore un très bon article, rédigé clairement et dont la longueur ne se ressent pas du tout à la lecture. Très intéressant cette histoire de pourcentages en fonction du point de vue.
    Je partage ton avis selon lequel les constats ont été faits depuis longtemps, alors on se demande bien ce qui peut coincer pour prendre de vraies mesures ?
    J’attends avec plaisir de pouvoir lire tes prochains articles !

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  4. Bonjour,

    Je vais commenter uniquement la dernière partie, à savoir les écarts qualifiés d’inexpliqués, avec deux exemples : l’un dans le secteur public, l’autre dans une start-up.

    Je travaille dans une entreprise du secteur public dans laquelle les syndicats publient absolument toutes les augmentations et niveaux de rémunération des salariés de manière non anonyme. Cela permet de constater quelles personnes sont les mieux rémunérées ou obtiennent le plus d’augmentations. Les explications sont non genrées : ce sont surtout le prestige des diplômes, le prestige du service du salarié et le comportement des personnes (savoir se valoriser auprès des chefs, savoir demander des augmentations) qui déterminent le plus le salaire et augmentations. Dans mon service, nous sommes deux femmes de 28-32 ans issues de Grandes Ecoles, et nous gagnions plus que des collègues masculins de 40ans issus de formations universitaires. De même, concernant deux personnes hommes ou femmes de formation et d’expériences équivalentes, ceux travaillant dans les directions politiques ou commerciales auront plus d’augmentations que ceux travaillant dans l’opérationnel, bien que ces deux types de postes soient importants pour l’entreprise.

    Dans le privé et surtout dans les start-up ou SS2I, le salaire est souvent accordé par rapport au salaire que le candidat annonce avoir dans sa précédente entreprise. Le salaire n’est pas toujours attribué en fonction du mérite ou comparativement aux collègues de la même boîte. Ainsi, j’ai un ami qui a découvert qu’une collègue moins expérimentée gagnait plus que lui. Cela l’a donc incité à changer de start-up, cette fois-ci en étant beaucoup plus exigeant sur le salaire demandé, et qu’il a obtenu.

    Il me semble donc que dans la majorité des cas, les écarts non expliqués de salaires hommes-femmes ne sont pas dus au genre, mais à d’autres critères. Idem pour les écarts expliqués, comme le montre très bien cet article. Dans un monde idéal, les écarts de salaire ne devraient pas être exclusivement étudiés sous le prisme du genre, car en sortant des statistiques, on constate aussi qu’il y a certaines femmes qui s’en sortent très bien et certains hommes pas assez comparativement à ce qu’ils mériteraient.

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    1. Bonjour et merci pour votre lecture et commentaire.
      Je m’attache dans cet article à expliquer que l’analyse par le prisme individuel des inégalités de salaires n’est que peu pertinente. Effectivement, des actions de transparence salariale permettent de résoudre des inégalités « locales » constatées entre personnes proches comme dans les deux cas concrets que vous citez et ce, peu importe le genre des personnes. En revanche, l’analyse statistique nous permet de voir qu’au global, le déséquilibre entre hommes et femmes est fort, pour toutes les raisons citées : temps de travail, types de professions, valorisation des compétences, etc., qui sont bien des éléments avec des différences statistiques en fonction du genre des personnes (cf. les détails de l’article).

      Enfin, si vous souhaitez des analyses d’inégalités en fonctions d’autres critères que le genre (et je suis d’accord avec vous, il y a de nombreux autres critères pertinents), je suis désolée de vous annoncer que vous n’êtes pas au bon endroit, puisque c’est tout l’objet de ce blog, d’où son titre d’ailleurs.

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